Mise au point | Libre |

Claquement de talons sur le marbre blanc de l'agence. Une porte se refermant. Nomi entrait sur son terrain de jeu. Son ensemble noir made in Prada se découpait sur les murs immaculés. Pantalon d'homme taille haute sur escarpins à talons aiguilles rouges Jimmy Choo accompagnés d'un chemisier très cintré rouge et une veste noire aux boutons sertis d'argent. Au bras, un grand cabas Gucci assorti à ses talons aiguilles et à sa parure de bijoux mélangeant habilement le rouge et le noir dans l'argent. Classique mais qui a toujours son petit effet. Elle traversa le grand couloir de l'agence en quelques enjambées rapides, saluant d'un battement de ces longs cils ou d'un très court mot prononcé par ses lèvres d'un rouge vif les quelques personnes qu'elle rencontrait. De sa main gantée, elle ouvrit une des lourdes portes qui finissaient le hall et se dirigea vers l'ascenceur. Elle y pénètra furtivement et appuya sur le bouton du 7ème étage. Seule dans la cage d'acier, elle plia les bras, tapant légèrement du pied d'impatience en regardant les étages défiler sur le petit écran de contrôle. Enfin arrivée à son étage, elle sortit de l'ascenceur et se rendit d'un pas vif vers la pièce qui l'intéressait. Elle y entra et n'y aperçevant personne, s'assit sur le confortable fauteuil qui était installé dans un coin et enleva gants et foulard.

Elle attendait quelques jeunes mannequins pour faire le point sur leur train de vie, leurs sentiments, leurs ambitions ... Elle leur donnerait aussi quelques conseils et répondrait à leurs questions. Elle n'avait pas convoqué spécialement certaines des filles et elle espérait qu'il y en aurait quand même qui aurait fait attention à son annonce dans le hall. Nomi savait qu'elle allait devoir s'attendre à remonter les bretelles de certaines des tops. Elles étaient encore très jeunes et à cet âge-là, il est difficile d'accepter les conseils et critiques des autres personnes surtout lorsqu'on est porté aux nues comme elles le sont depuis qu'elles sont entrées dans leur vie de mannequin. Il était cependant impératif de ne pas les laisser livrées à elle-même car même si elles ne feront semblant de ne porter aucune attention à ce qu'on leur dit, celles qui auront un avenir sauront en prendre compte et ne pas en faire qu'à leur tête pour réussir. Il fallait qu'elles comprennent que si elles pouvaient être les pires pestes entre elles, elles devaient du respect à tous les professionnels du métier qui, du fait de leur expérience, ne supporteront pas de jeunes pimbêches capricieuses surtout lorsque d'autres filles aussi minces et jolies attendent sur le pas de la porte et sont prêtes à tout pour prendre leur place.

En gros, Nomi était là pour recadrer un peu les filles, les aiguiller que ce soit sur leur carrière, sur leur apparence ou sur leur look. Elle était passée par là et savait combien il était difficile d'être jetée dans la fosse aux lions sans autre arme que sa propre force mentale. Critiquées, humiliées, descendues en flamme, elles le seraient de nombreuses fois dans ce monde très difficile qui se cache derrière les strass et les paillettes. Il était donc important qu'elles passent outre ces critiques, qu'elles se rendent compte que ce qui ne les tuerait pas les rendrait plus fortes et que ça pouvait même les aider à se construire. Nomi, tout en réfléchissant à ce qu'elle pourrait dire, regardait rapidement les books des jeunes femmes. Il n'y avait pas à dire, la seule chose qui ferait la différence entre elles était le caractère car elles étaient toutes très jolies du moins sur papier glacé. Elle était pressée de faire un peu plus connaissance avec elle et commençait à s'impatienter, regardant sa montre toutes les trente secondes pour être sûre qu'il n'était pas encore l'heure à laquelle elle leur avait donné rendez-vous.

Nomi leva les yeux au ciel lorsque la porte du bureau s'ouvrit enfin. Il n'était pas trop tôt. La jeune fille qui entra dans la pièce était plutôt grande, de longs cheveux roux s'étalant sur ses épaules. Elle semblait d'une humeur massacrante. Cette réunion n'allait donc pas être de tout repos. Nomi se leva et tendit froidement sa main à la jeune fille pour la saluer alors que celle-ci lui donna son nom et son âge, quelque peu scolairement. Nomi tilta sans laisser paraître sa surprise quand elle apprit qu'Alessandra n'avait que 16 ans, c'était peut-être la couche de maquillage qui lui couvrait le visage qui l'avait trompé sur son âge mais celle-ci en paraissait bien plus. Elle trouvait d'ailleurs cet excès de couleur très déplacé pour une mannequin, quasiment vulgaire. Elle pensa à garder cette réflexion dans un coin de sa tête pour plus tard. Quand Alessandra répondit à son salut, elle retourna s'asseoir à son bureau, récupérant le book de la jeune fille, elle observa quelques instants les photos puis la jeune fille en pianotant sur un de ces clichés avant de prendre la parole de but en blanc :

Je sais que ce que je vais te dire va sûrement entrer par une oreille pour ressortir par l'autre. C'est normal. Tu es jeune, belle, adulée et des tas de contrats t'attendent alors tu te dis que tu n'as rien à faire là avec une vieille has-been qui va te déblater des tas de choses insipides sur ce que tu sais déjà. Ou plutôt ce que tu crois savoir. Des jeunes filles comme toi, j'en vois tous les jours, toutes les heures. Tu veux m'impressionner ? Montre-moi que tu sais être différente. Mais, sache que les petites idiotes qui méprisent tout et tout le monde peuvent tout de suite prendre la porte. Tu te moques de ce que je vais te dire ? Et bien, peu m'importe, ça ne va pas changer ma vie de savoir que je n'aurais pas réussi à t'apprendre quelque chose, au contraire, ça me donnera moins de boulot de te virer dès maintenant. Alors, soit tu t'assois et tu m'écoutes soit tu sors tout de suite. Fais ton choix.

Le visage de Nomi était resté très serein lors qu'elle avait fait sa tirade à la jeune fille en face d'elle. Elle préférait mettre les choses à plat dès le départ pour ne pas être confrontée à des problèmes par la suite. Elle n'avait aucun remords parce qu'elle n'avait d'ailleurs pas mis une once de colère ni de jugement dans ce qu'elle avait dit. Si la jeune fille en face d'elle répondait par l'aggressivité à ce qu'elle lui avait dit, c'est qu'elle se sentait concernée par ce cas général qu'elle avait exposé. Si elle ne l'était pas alors, il y aurait peut-être moyen de faire quelque chose avec elle. C'était à voir. Ses yeux restèrent plantés dans les siens jusqu'à ce qu'Alessandra ouvre la bouche ou fasse quelque chose.

Nomi eut un petit rire pincé en écoutant ce que disait Alessandra. Au moins, il y avait un bon point, elle était restée. Peut-être n'était-elle pas si désintéressée que ça par ce qu'elle allait lui dire. Mais son attitude lui déplaisait beaucoup, elle était beaucoup trop fausse et Nomi s'empressa de lui faire remarquer :

Pauvre petite ... Tant de photographes avides d'obtenir des images croustillantes du nouveau mannequin à la mode. Une vie tellement ... palpitante. Un nouvel amant au bras, un rail sur la table du salon, une tequila à la main. Wouah, tant d'évènements qui vont changer la vie du beauf moyen aglutiné devant sa télé.

Nomi se redressa et plongea à nouveau son regard dans les yeux d'Alessandra.

Personellement, peu m'importe. Que tu aies envie de faire passer ton complexe d'infériorité, ta mégalomanie ou ta crise d'adolescence dans le sexe, la drogue, l'alcool ou tout ce que tu veux, ça ne me regarde pas. Je ne suis pas là pour juger ta vie en tant que personne mais en tant que mannequin. Si tout ce que tu fais, tu le fais en restant professionnelle sur les shootings et les runways, alors, je n'aurais rien à te dire. Mais, si, par hasard, le maquilleur doit passer trois heures sur ton visage pour maquiller les poches gigantesques que tu as sous les yeux ou que tu sois incapable de me donner la moindre expression car t'as abusé sur la coke, alors là, ça ne sera pas la même chose. Enfin moi je te dis ça, c'est pour toi. Si tu préfères faire la une des journaux à scandale que celle des magazines de mode, à toi de voir.

En effet, Nomi n'avait rien à dire au sujet de la vie qu'avait choisi Alessandra, elle avait fait les mêmes erreurs dans le passé et pouvait justement les comprendre. Seulement, elle avait été par la suite irréprochable lors de sa vie de mannequin et si Alessandra voulait que son avenir de top model s'étende sur de nombreuses années, il faudrait qu'elle pense à modifier son comportement avec les personnes du milieu. On ne lui pardonnera pas un kilo en trop ou un visage marqué par ces élucubrations surtout qu'à son âge, elle n'a pas encore fait ces preuves. Elle peut se contenter d'être un phénomène de mode ou alors, vouloir rester dans les mémoires. C'est son choix. Nomi ouvrit à nouveau la bouche pour faire la remarque qui la tiraillait :

Au fait, si tu te maquilles comme tu veux tous les jours. Ici ou à un casting, évite la truelle pour appliquer ton blush.

Nomi devait se retenir de sourire devant la jeune fille. Elle avait tellement de points communs avec elle lorsqu'elle avait son âge. Pourtant, il y avait malgré tout beaucoup de différence et elle se devait de mettre une certaine distance entre elles, surtout du fait de son statut. Elle répondit donc d'un ton égal à la jeune fille :

Es-tu si imbue de toi-même pour ne pas croire que quelqu'un ne puisse pas te connaître ? Moi, je pense que peu de gens te connaissent, Alessandra. Je ne parle pas de connaître la Alessandra des magazines, de connaître l'image d'Alessandra que personnellement, je connais. Mais la jeune femme derrière cette image, je ne la connais pas. Je crois avoir commencé à la connaître au moment où elle est entrée dans cette salle mais comment être sûre qu'elle ne se cache pas encore derrière un masque ? Je suis consciente du fait que tu as besoin de ce masque pour te protéger, comme tu l'as dis - bonne remarque de ta part d'ailleurs - mais sais-tu le tomber parfois ? Je ne parle pas de le faire en face de moi parce que, comme je te l'ai dis, je ne te connais pas et ça serait déplacé de te demander de rendre les armes devant une inconnue.

Nomi était plutôt contente de l'avancement des choses avec Alessandra, elle semblait très intéressante malgré les apparences en sa défaveur. Elle sentait qu'elle pourrait faire du bon travail avec la jeune fille, si celle-ci s'ouvrait un peu plus et lui donnait l'occasion de bosser un peu plus. Elle ajouta avec plus de douceur :

Tu sembles cependant être très consciente de ce que tu fais et des embûches qui parsèment ton chemin. C'est un bon point.

Nomi écouta attentivement Alessandra, la jeune fille semblait avoir de réelles problèmes ancrés au fond d'elle.

Tu ne l'as pas ou tu n'as pas pu l'avoir ? Si on ne t'apprend pas ce qui est bien et ce qui est mal, il serait difficile pour toi de le définir. Je ne juge pas ton passé, je ne le connais même pas mais la notion de bien ou de mal s'acquiert au cours d'une vie, c'est pour ça qu'elle est différente pour chacun. Mais toi, tu es devenue adulte si jeune ou du moins, on t'a demandé de le devenir si vite que tu n'as sûrement pas pu te développer comme il le fallait. C'est du moins ce que je pense.

Elle se leva et, comme lorsqu'à chaque fois qu'elle était en pleine réflexion, se mit à faire les cent pas dans la pièce.

Tu ne me parles depuis tout à l'heure que de l'argent que tu as rapporté aux agences, des couvertures que tu as fais. Tout ça, c'est du business. Tu parles plus comme un homme d'affaires qu'une jeune mannequin. J'aimerais te dire, c'est très bien tout ça mais où tu te situes là-dedans ? Comme une espèce de gagne-pain pour le reste des gens du métier ? Ressens-tu encore le moindre plaisir, le moindre amour pour ce que tu fais ?

A la fin de sa question, elle s'arrêta devant Alessandra et attendit que celle-ci réponde, les mains sur les hanches.

Nomi avait l'impression de s'être confronté à une paroi glacée lorsqu'elle avait abordé ce sujet. Alessandra ne semblait pas prompte à parler de son passé ou alors, son seul problème était qu'elle n'en avait pas mais Nomi se dit qu'il ne valait mieux pas continuer sur cette pente glissante si elle voulait gagner ne serait-ce qu'un minimum la confiance de la jeune fille. Elle essaya donc de redresser un peu la situation en bouclant rapidement la discussion :

Je n'essaye pas de te trouver de problèmes, Alessandra, je tatônne et parfois, je me trompe. C'est difficile de s'adapter à quelqu'un qu'on ne connait pas comme tu le sais et je n'ai aucune envie de devenir ta psychologue, d'ailleurs, je n'en ai pas les compétences, j'essaye seulement de t'aider dans le domaine qui m'intéresse : ta vie de mannequin. Mais, passons. Tu as bientôt des projets d'organisés ? - Au fait, non merci pour la pomme - Je veux dire, je sais bien que tu en as mais tu pourrais me donner quelques détails ? Sinon, si tu veux qu'on parle d'autre chose, tu n'as qu'à m'en faire part.

Nomi, ne pouvant plus résister à la tentation, décida de prendre une cigarette dans son sac et l'alluma tranquillement en regardant Alessandra. Elle savait que ce n'était pas vraiment un exemple mais après tout, la jeune fille ne devait plus être à ça prêt.

Nomi écouta Alessandra déblatérer comme un agenda over-booké son emploi du temps. Elle tilta plusieurs fois notamment à l'annonce de son projet humanitaire. C'était bien que la jeune femme se sente concernée par un conflit aussi grave que le Kosovo mais Nomi espérait qu'il n'y avait pas une question de publicité derrière cette action. Mais, elle trouverait cela étrange étant donné qu'Alessandra essaye au contraire de fuir les paparazzis. Elle réengagea donc la conversation en espérant pouvoir placer un mot à ce sujet :

Et bien, c'est un emploi du temps pour le moins ... chargé. Je suis étonnée que tu aies eu du temps pour venir ici d'ailleurs. Tu dors, au moins ? Non, tu n'es pas obligée de me répondre, ça ne me regarde pas et tu fais bien ce que tu veux. Mais, je voulais te parler de cette chanson que tu dois enregistrer pour récolter des fonds pour le Kosovo. Tu t'occupes souvent de projets humanitaires comme cela ? Je trouve cela très intéressant mais t'y impliques-tu vraiment avec tout ce que tu dois faire à côté ? Je sais que c'est assez difficile et que les célébrités sont un bon moyen pour éveiller la sensibilité des gens sur certaines situations qui passent inaperçues mais je pense qu'il faut un minimum savoir de quoi on parle. Je ne parle pas forcément de ton cas mais de nombreuses "stars" croient bons de se faire porte-paroles à la place des porte-paroles, ceux qui sont sur le terrain et qui vivent pour leur action et j'espère que tu n'en fais pas partie.

Elle savait qu'elle avait été un peu brusque mais c'était un sujet qui lui tenait à coeur à elle aussi et elle essaya de rectifier le tir en ajoutant :

Mais, cela m'étonnerait vu que tu m'as dis que tu avais un procès d'engagé contre des paparazzis. Je ne pense pas que tu veuilles d'autres rumeurs ou publicités supplémentaires sur ton dos.

Alessandra hocha activement la téte et dit :

- Oh non ! Je ne veux pas d'autres publicités, j'en ai déjà assez, je veux juste réveiller les consciences et rapportez le plus d'argent possibles aux nobles causes.

Elle marqua une pause et dit :

- Je sais que ca fait un peu cliché comme discours, mais c'est sincére pour une fois. Je ne veux pas qu'on pense qu'Alessandra Cooper ne pense qu'à elle. J'ai un succés fous en Italie, mon pays d'origines et beaucoup de gens ne me connaissent que comme la fille qui a fait la couverture de "Paparazzio" pour avoir coucher avec un hommme "d'age mur". Je suis lassée de tout cet engrenage. J'aime ce que je fais mais maintenant les gens sont plus intéréssés par votre vie privée plutot que votre vie professionelle. Et ca n'est pas normal. Je travaille pour la reconaissance de mon talent pas pour celle de mon derriére. Enfin si mais quand je veux le montrer pas à mon insu.

Elle arréta de parler quelques instants et sortit une cigarette de son blaser.